Lignes, bandes, strates et plis – Le temps déposé dans la trame

Dans l’atelier, le fil avance ligne après ligne. Le temps s’y dépose, s’y épaissit, se souvient.
Ce texte suit le rythme de la main — du tissage au pli — là où la matière devient mémoire.


Dans le textile, rien n’est plat.
Tout est pli, tension, stratification.
Chaque bande s’ajoute à la précédente comme une couche de temps, un fragment de mémoire.
Ce que je tisse n’est pas une surface : c’est une matière en relief, une écriture du geste.

J’avance par lignes.

Chacune est un battement de pouls, chaque passage de trame une ligne de vie. Dans le tissage, dans le crochet, les lisses ou les mailles s’enchainent… Comme une musique, un rythme, une pulsation. La ligne se met à respirer quand le pli trouve sa gravité propre. Le textile garde tout — la vitesse, le doute, la fatigue, la joie. Ce n’est pas une volonté : c’est un phénomène.

Forme vive

J’avance par bandes.

Elles naissent côte à côte, indépendantes, parfois discordantes.
Je ne sais jamais vraiment comment elles vont s’accorder.
Elles dialoguent, s’attirent, se repoussent.
Certaines s’étirent, d’autres se contractent.
C’est une géologie en train de se former, une dérive lente d’archipels.

Je les assemble ensuite, non pour les fusionner, mais pour laisser entre elles un espace de tension.
Ce vide entre les bandes est aussi important que les bandes elles-mêmes.
Il permet à la lumière de circuler, au regard de respirer.
Il rappelle que le tout est fait de fragments — que l’unité n’existe que par la pluralité.

Empilées, elles fabriquent une profondeur.
On ne la voit pas, mais elle est là, sous la surface.

Quand j’observe mes bandes finies, j’ai souvent l’impression de regarder une coupe géologique.
Il y a des failles, des zones d’accumulation, des fractures douces.

Dialogue de bandes
Mémoire du fil

J’avance par strates.

Qui parlent du temps long.
Du temps qu’on ne mesure pas… qu’on dépose…
Je les vois comme des couches de terre ou de souvenirs : le lin, le coton, le lurex — chacun avec sa densité, sa manière d’absorber la lumière, d’évoluer dans la couleur et la texture.
Chaque teinte, chaque irrégularité dit quelque chose du temps passé — et du temps à venir.

Composer avec la patience.
Ce n’est pas une répétition : c’est une stratification du vivant.
Un lent processus d’équilibre entre ordre et déviation.

Ce que je cherche, ce n’est pas la régularité.

C’est le rythme.

Empilées, elles fabriquent une profondeur.

J’avance par plis.

Ils sont une respiration.
Ils retiennent la trace de ce qui s’est passé, de ce qui s’est tendu, détendu, hésité.
Dans un pli, le fil se souvient de la main.
Dans une strate, le temps s’épaissit.

Je les sculpte, les pique et les épingles. 

Dans un pli, le souvenir de la main

Quelque chose d’invisible s’aligne : la main, la matière, la lumière. Sous mes doigts, la matière se souvient. Elle garde le poids du jour, la chaleur de la lumière, la lenteur du souffle.

Lumières

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