Aujourd’hui, je suis tombée. poignet et cheville droites HS.
L’accident bête (comme ils le sont tous), l’inattention, la précipitation, l’enthousiasme et paf. Crêpe !
Œuf de poule sur le poignet, douleur. J’ai cru m’évanouir, je me suis allongée sur le sol. J’ai regardé passer les avions dans le ciel bleu en me disant « ce serait drôle qu’ils me voient, allongée comme une m… sur le sol de cette terrasse et plus drôle encore qu’ils fassent demi-tour ». Je me suis laissée traverser par ce choc. Dans ma tête, mes pièces en cours ont commencé à crier… Suspendue… Je le savais dés cette minute, je n’allais pas pouvoir travailler aujourd’hui, probablement pas demain non plus et sans doute pas pendant plusieurs semaines. Juste au moment où j’imagine une pièce ambitieuse. Une pièce qui demande une dédication de tous les instants. La tuile !
Petit à petit, tous les gestes habituels prennent une dimension épique. Le moindre mouvement demande un effort, provoque une douleur, ma main devient LA chose à préserver. Elle, à laquelle je ne pense pas quand je m’en sers… Tous les jours…
Une amie me dit « il n’y a pas de hasard ». Admettons… So what ?
Je ne sais pas si tout ça a un sens. Mais il est certain que c’est un pli dans le tissu des jours. Une couture inattendue.
Que se passe-t-il quand je suis suspendue, arrêtée, quand je dois préserver mon corps qui m’impose une pause ? Que se passe-t-il quand les œuvres sont laissées en plan, que les fils sont inutiles…
Il se passe la colère après soi, la frustration, l’agacement. Je venais juste de commencer. Juste de trouver une direction. Un ton. Une forme. Une matière. Un geste juste. C’est toujours à ce moment-là que la vie glisse une peau de banane sous tes semelles.
La pièce que je rêve de faire demande un engagement physique, mental, presque amoureux.
Et me voilà contrainte à l’abstinence textile.
Mais réflexe salutaire, je me dis que ce pourrait être pour un mieux.
Cette pièce dont je rêve, je pourrais la réfléchir davantage. La penser en amont. Puisque ma main est en arrêt, mon cerveau pourrait prendre le relais.
Peut-être que cette pièce a besoin d’être rêvée plus longtemps que les autres. Peut-être que ce geste suspendu est le début de quelque chose. Mon travail intègre le temps. Il en est un tissu.
Voilà, un autre fil, celui de l’immobilité qui vient tisser celui du désir contrarié.
Quelle œuvre va naître de cette union ?
Immobile, la main en écharpe, je vois les formes que je voulais faire se tordre dans mon esprit. Elles flottent, elles dansent. Comme si elles se fichaient pas mal que mes mains soient indisponibles. Elles continuent, elles, leur chemin. Je les vois, mes modules rêvés. Suspendus dans la canopée. Légers, souples, presque moqueurs. J’ai envie de tendre la main. Mais je ne peux pas. Alors je les imagine mieux.