Il y a des pays qui ne se visitent pas, ils se traversent.
Ou plutôt, ils vous traversent.
Le Japon a été pour moi un archipel — non pas seulement géographique, mais intime.
Chaque lieu, une île. Chaque île, une mue.
Je suis partie sans attente, avec seulement ce que je pouvais porter : un sac, un carnet, quelques vêtements. Et une peau trop étroite, devenue inconfortable.
Là-bas, tout m’a lentement défait :
le silence des temples,
la pluie sur les forêts de cèdres,
le thé amer dans les gares,
le vert vif de la mousse,
le rythme des trains,
le vide.
J’ai marché des heures dans le rien.
J’ai dormi mal, puis mieux.
J’ai appris à ne pas remplir.
Et sans que je m’en rende compte, quelque chose en moi a commencé à glisser.
Comme une vieille peau qui se détache sans bruit.
À mon retour, j’ai compris que je ne pouvais plus travailler comme avant.
Le papier me semblait trop fragile, trop contraint.
J’avais besoin d’une matière qui accompagne la transformation au lieu de la figer.
C’est alors que mes mains ont trouvé le fil.
Et que le fil m’a tenue.
Depuis, je travaille autrement.
Plus lentement. Plus incarnée.
Chaque pièce naît comme une île : un fragment d’émotion, de couleur, de passage.
Je ne saurais dire exactement ce que le Japon a changé.
Mais je sais qu’il a laissé en moi une cartographie invisible —
un archipel de métamorphoses.












